mercredi 21 mai 2008

Enfant Turbulent, Débat avec Edwige Antier, pédiatre, auteure de "Dolto en héritage" (Robert Laffont, 2005), jeudi 22 septembre 2005

Doudou : Les enfants turbulents ont-ils toujours existé ou est-ce une spécificité de nos sociétés actuelles où règne la violence ?

Edwige Antier : Oui, les enfants turbulents ont toujours existé. Parce que les enfants ont toujours connu la violence, malheureusement. Mais il est vrai que dans notre monde d'aujourd'hui, ils sont harcelés par de multiples stimuli : télévision, téléphone, vie précoce en collectivité, qui aggravent considérablement leur agressivité.

COUCOU : Comment faire la différence entre un enfant turbulent et un enfant hyperactif ?

Edwige Antier : C'est très important. Parce que le terme d'hyperactif sonne comme une pathologie qui va mériter traitement ou rééducation. On l'emploie trop largement aujourd'hui. L'hyperactif associe trois symptômes : la difficulté à se concentrer, l'impulsivité et l'agitation. Seule l'association des trois peut faire suspecter le diagnostic d'hyperactivité. Un enfant qui est très actif, qui aime monter sur les toboggans, taper dans les ballons, courir dans les couloirs de la maison, mais qui est capable de se concentrer lorsque vous lui racontez une petite histoire avec un livre, n'est pas un enfant hyperactif. C'est un enfant vif, heureusement.

Tybert : Ne pensez-vous pas qu'un enfant turbulent est un enfant normal ?

Edwige Antier : Oui, ma réponse précédente montre que l'enfant turbulent, mais qui est capable de se concentrer sur un échange avec l'adulte et qui ne bouscule pas systématiquement ses congénères pour toujours passer le premier au toboggan (impulsivité), est normal. Il faut savoir respecter la turbulence de cet enfant mais aussi canaliser son énergie vers des échanges positifs. C'est un enfant avec lequel il faut volontiers se poser pour ouvrir des livres, faire de la pâte à modeler, partager une petite histoire douce à la télévision... Et sa turbulence passera avec la maturité, vers 5 ans.

CANALISER L'ÉNERGIE

Thierry : Ce qu'on appelle turbulence n'est-il pas plutôt de l'énergie non canalisée et mal distribuée plutôt qu'une forme de violence ?

Edwige Antier : Merci, Thierry, d'employer le mot que je viens justement d'écrire : canaliser. Car un enfant est une extraordinaire boule d'énergie. Et toute l'éducation consiste à canaliser son énergie vers le positif : j'apprends à construire une tour de cubes, à parler, à colorier "sans dépasser", par rapport à l'énergie négative : je me roule par terre, je mords, je tape. Et nous allons voir que c'est tout un art et beaucoup de présence.

Luciole : Pensez-vous que la tendance américaine à donner des calmants aux enfants jugés hyperactifs risque de gagner la France ?

Edwige Antier : Bonne question. En France, nous utilisons peu les "calmants" style Ritaline, et nous avons mis des barrières : la prescription initiale ne peut être faite que par un pédopsychiatre hospitalier qui seul peut la renouveler tous les ans, après des bilans approfondis. Même avec cette précaution, la prescription augmente mais reste très marginale. Il ne faut pas non plus ignorer certains vrais hyperactifs qui sont dans des états suicidaires tant ils sont rejetés par le groupe. On ne peut donc réfuter totalement l'intérêt du traitement médical.

Tybert : Vous dites que la vie précoce en collectivité aggrave l'agressivité... Quid, alors, des crèches ?

Edwige Antier : Il est important d'humaniser les crèches, c'est-à-dire que le personnel doit avoir une attention permanente au groupe pour réguler les relations entre les enfants. Et lorsque vous êtes une éducatrice pour huit enfants qui marchent (la norme), il vous faut une attention constante. Faute de laquelle, en effet, les enfants ont des jeux qu'on appelle "parallèles", ils ne savent pas échanger jusqu'à 3 ans, ils se poussent, voire se mordent. C'est dire l'importance de la formation du personnel, du respect qu'on lui doit et de l'ouverture de la crèche aux parents, pour laquelle je travaille avec d'excellents retours.

Sophie : Pensez-vous que les punitions (expliquées et justifiées) puissent aider à "recadrer" un enfant très turbulent ?

Edwige Antier : Certainement pas. Au contraire, soit elles aggravent la turbulence car elles endurcissent l'enfant, qui prend l'habitude de vous braver, soit elles l'éteignent et le transforment en un enfant trop soumis qui perd de sa curiosité. Jusqu'à l'âge de 7 ans, lorsque vous voulez appliquer la punition, l'enfant ne sait déjà plus pourquoi il a voulu transgresser. Il se culpabilise et entre dans le profil de l'"affreux jojo".

Laurence : Ma fille a 2 ans. Je la retrouve depuis sa naissance dans les qualificatifs d'impulsive et d'agitée. Elle ne reste pas en place avec un livre ou un jeu. Seul un DVD de dessin animé la fait tenir en place plus de cinq minutes. Faut-il utiliser ce support pour progresser, ou bien au contraire le réduire à la portion congrue ?

Edwige Antier : On a beaucoup diabolisé le petit écran, mais si vous vous asseyez à côté d'elle, que vous la prenez sur vos genoux en partageant le dessin animé, en faisant des commentaires et en captant bien ses émotions, il joue le rôle d'un livre d'images. Donc pourquoi s'en priver et l'en priver ? Par contre, mettre le DVD en boucle et la laisser sucer son doudou le regard vague pendant que vous vaquez à vos occupations, c'est vraiment habituer son cerveau à l'absence d'échange, et dès que vous éteindrez le magnétoscope, elle se remettra à grimper aux rideaux.

Momo : Un enfant naît-il turbulent ou le devient-il ?

Edwige Antier : C'est toute la question entre l'inné et l'acquis. Avec trente ans de pratique, je peux dire que dans 90 % des cas, il le devient, mais ça vient très tôt. Dès le deuxième semestre de la vie, la façon dont vous interagissez avec votre enfant va laisser partir son énergie de manière négative. Et on peut le deviner en voyant vos relations. Le deuxième enfant est beaucoup plus turbulent que le premier parce qu'on est moins en relation de duo avec le deuxième, par exemple. Le caractère inné s'impose parfois à l'analyse, mais c'est tout de même rare.

Le Monde

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