mardi 4 mars 2008

LA DYSLEXIE , ça me cripse comme un machte de bosc.

LA DYSLEXIE , ça me cripse comme un machte de bosc.

La simple pensée des travaux scolaires, la simple entrée dans la classe ou la simple vue d’un livre ou d’une lecture à faire, peut provoquer le rejet, la fuite ou l’inhibition chez certains enfants. On dit de lui qu’il "n’aime pas l’école", "il n’aime pas lire". Il dit de lui qu’il "est nul", sous entendu "je suis bête car je ne comprends rien à l’école, je n’arrive pas à suivre". Les devoirs sont un véritable supplice pour les parents et une corvée pour les enfants qui ne se plient que sous la contrainte. Que se passe t-il ?

Suite à un bilan orthophonique ou psychologique, l’enfant est alors repéré comme "dylexique". Voilà un enfant pour lequel on vous demande de vous organiser pour des séances de rééducation deux à trois fois par semaine afin de remettre l’enfant dans le circuit scolaire. Mais est-ce obligatoire ? C’est un diagnostic qui fait souvent peur aux parents : quelle est la définition exacte de la dyslexie ? Quelles en sont les causes ? Quelles en sont les conséquences ? Quelles en sera l’évolution pour l’enfant ?

QU’EST CE QUE LA DYSLEXIE ?

Selon les auteurs, la dyslexie touche entre 8 et 10 % des enfants normalement scolarisés (3 à 4 garçons pour une fille). La dyslexie se caractérise par une difficulté à acquérir la lecture à l’âge habituel en dehors de toute débilité ou déficience sensorielle. Suite à l’apparition de la dyslexie s’associe des difficultés d’orthographe d’où le nom de dyslexie-dysorthographie qui est alors un ensemble de difficultés durables ( et non pas un simple retard d'acquisitions) d'apprentissage fondamentaux de la lecture et/ou de l'orthographe chez un enfant (ou un adulte). Il ne faut donc pas confondre dyslexie et échec scolaire. Tous les enfants ayant des difficultés à l'école primaire ne sont pas dyslexiques, et vice versa, un enfant peut être dyslexique sans pour cela être en échec prolongé ( en particulier si la dyslexie est légère et si elle peut être compensée par le développement d'autres aptitudes intactes).

APPRENDRE A LIRE ET A ECRIRE .

Cet apprentissage passe par trois étapes durant lesquelles les deux mécanismes, lecture et écriture, se renforcent mutuellement par des relations réciproques.

- La première étape dite "logographique"
Si un enfant de trois ans paraît reconnaître un mot, à l'étonnement de ses parents, ce n'est pas parce qu'il a ''lu'', au sens habituel, mais simplement qu'il en a reconnu la forme générale sur des indices extérieurs : la forme des lettres, leur couleur, l'aspect général du mot. A ce stade, l'enfant ne sait évidemment pas lire, mais est capable de reconnaître parfois un nombre conséquent de mots, et ce uniquement à l'aide de quelques indices visuels. C'est cette capacité qui est utilisée lors des premiers mois de l'apprentissage scolaire de la lecture pour les enseignants qui appliquent la méthode globale ou semi-globale. On donne à l'enfant l'illusion de lire en lui apprenant à reconnaître globalement certains mots. Mais jusque là, il n'y a pas de lecture proprement dite puisque l'enfant n'utilise pas encore la correspondance entre les lettres et les sons.

- Une deuxième étape dite "alphabétique" :
Paradoxalement, à ce stade, c'est l'écriture qui va permettre de développer les capacités de lecture : au cours du CP, l'enfant va, avec l'aide de l'écriture, développer un système fondamental qui est la base de la lecture et qui consiste à automatiser les liens entre la forme visuelle ( des lettres, des groupes de lettres, des syllabes) et leur correspondant sonore. Ce système, d'abord utilisé pour donner un nom ( donc un son) à chaque lettre, va rapidement être capable de transformer des groupes de lettres en des suites de sons.

- Une troisième étape dite "orthographique" :
Elle correspond au moment où l'enfant devient apte à reconnaître un mot comme une entité, grâce à la formation progressive de ce que l'on appelle un lexique orthographique. Le fonctionnement de ce lexique est encore incomplètement connu, mais il semble se faire à la manière d'un dictionnaire auquel on se référerait pour chaque mot à lire, selon une procédure de type photographique, permettant une identification rapide ( d'autant plus rapide que le mot est plus familier) puis un accès immédiat au sens.
C'est cette procédure orthographique ( je photographie, je reconnais, je comprends) qui se développerait ensuite pour devenir de plus en plus efficace au fur et à mesure que la lecture devient de plus en plus compétente. Au bout du compte, le lecteur adulte n'utiliserait pratiquement plus que la procédure photographique, ce qui est évidemment beaucoup plus rapide et économique que de passer par l'assemblages des formes sonores ( qui reste cependant nécessaire lorsqu'on doit lire, par exemple, des mots nouveaux, ou sans signification, ou encore des mots d'une langue étrangère).

L’ENFANT DYSLEXIQUE

La plupart des dyslexies/dysorthographies apparaissent dès le CP, moment du contact initial de l'enfant avec la lecture. Contrairement à une opinion erronée couramment répandue, il n'y a pas de ''fautes-types'' du dyslexique, comme l'inversion de lettres ou de syllabes : les erreurs des dyslexiques sont multiples, le plus souvent simultanées ( ''fautes'' que fait tout enfant qui apprend en CP/CE1, et qui sont inévitables au début) mais en plus elles persistent durant la scolarité.

Au niveau du déchiffrage :
* confusions auditives, visuelles ( a/an, s/ch, u/ou,...et toutes les sourdes-sonores p/b, t/d, k/g, f/v, ch/j, s/z) ( p/q, d/b),
* inversions-omissions ( or/ro, cri/cir, ..) ( bar/br, arbre/arbe,...),
* adjonctions-substitutions ( paquet/parquet, odeur/ordeur,...) ( chauffeur/faucheur),
* contaminations ( dorure/rorure,...palier/papier)
D'une manière générale, le déchiffrage d'un texte est lent, hésitant, saccadé ( débit syllabique), la ponctuation non respectée. Au niveau de la compréhension : Le dyslexique ne retire pas de sens, ou seulement partiellement, de ce qu'il a déchiffré. Il n'aime pas lire, et rejette souvent les matières ou activités qui font appel à l'écrit. En général, il y a conjonction de ces deux types de troubles.

Au niveau de la dysorthographie :
Les fautes constatées, qui elles aussi sont normales au début de l’apprentissage, sont semblables à celles qu’on observe en lecture :
- erreurs de reproduction de la forme sonore du langage (confusion, omissions, inversions) - erreurs d’orthographe d’usage
- erreurs grammaticales
- erreurs de mode et de temps
- erreurs de compréhension (erreurs de structuration).

La dyslexie est, littéralement, un DYSFONCTIONNEMENT DE LA LECTURE (comme la dysorthographie est un dysfonctionnement au niveau de l’orthographe). L’enfant dyslexique déchiffre lentement avec de nombreuses hésitations, confusions, inversions ... et ce, QUELQUE SOIT le matériel écrit proposé et le moment de la journée. Ces erreurs sont donc PERSISTANTES et, la compréhension qui en découle est également perturbée.

FACTEURS ASSOCIES

Le dyslexique souffre-t-il d'autres défauts d'apprentissage que la lecture et l'écriture? En fait, la spécificité du trouble du langage écrit est rarement absolue et divers autres domaines peuvent être touchés, en plus du langage écrit, sans pour cela altérer l'intelligence globale. -

Le langage oral

Beaucoup d'enfants dyslexiques ont aussi divers types de difficultés en expression orale : incoordination des organes phonateurs [ train==>krain,...], troubles d'articulation [mauvaise prononciation d'un son quelle que soit la place dans le mot...].
Ces différentes altérations possibles font que l'on considère volontiers la dyslexie comme une forme atténuée d'un autre type d'apprentissage ( plus grave et beaucoup plus rare [3% des enfants]), appelé dysphasie de développement (la majorité des enfants dysphasiques, après avoir récupéré leur langage oral deviennent ultérieurement dyslexiques).

- La mémoire :
Le dyslexique ne présente généralement pas, à proprement parler, de trouble de la mémoire. Il n'existe pas de difficulté particulière à rappeler les épisodes de la vie quotidienne ou à apprendre une liste d'images ou de mots. En revanche, certains dyslexiques présentent des troubles spécifiques de mémorisation de la forme visuelle des mots. On insiste surtout actuellement sur la fréquence de trouble d'une forme particulière de mémoire, appelée '' mémoire de travail verbale''. Il est ainsi très courant que les enfants dyslexiques aient une performance inférieure à la moyenne des enfants de leur âge pour les tâches comme rappeler immédiatement une liste de chiffres, présentés oralement ou par écrit. Ce trouble concernerait spécifiquement la capacité à garder pendant quelques secondes en mémoire une succession de sons du langage, ce qui contribue probablement au trouble de la conscience phonologique.

- Écriture et habileté manuelle :
Certains dyslexiques, mais seulement une minorité d'entre eux, présentent des troubles de la gestualité pouvant aller d'une simple maladresse manuelle jusqu'à un véritable handicap pour les gestes complexes, en particuliers bimanuels. Mais la manifestation la plus gênante de ce trouble reste celle du geste d'écriture. On voit souvent des dyslexiques ayant une mauvaise tenue du crayon, avec la main crispée et fléchie, des mouvements mettant en jeu l'ensemble du bras voire du tronc, ce qui rend beaucoup plus difficile l'acte d'écrire. Le résultat est souvent caractérisé par des gribouillis, des irrégularités entre les lettres, des difficultés à maintenir l'horizontalité : c'est ce que l'on dénomme une dysgraphie.

- Enfant hyperactifs :
une mode américaine dont on se méfie beaucoup... On a beaucoup insisté ces dernières années, surtout aux Etats Unis, sur la fréquence associée ou non à la dyslexie, de difficultés qu'éprouvent certains enfants en période d'apprentissage à maintenir leur attention sur une tâche ou un exercice, difficulté qui peut réaliser un véritable handicap et, chez le dyslexique, un obstacle à toute tentative de rééducation. Dans certains cas, ce trouble de l'attention a une répercussion motrice, l'enfant ne pouvant rester en place plus de quelques minutes et montrant dans toutes ses attitudes une agitation anormale : on parle de syndrome d'hyperactivité ( qui ne sera pas développé ici).

LES CAUSES DE LA DYSLEXIE

Il y a quelques années, on concevait la dyslexie comme une difficulté d'apprentissage en rapport avec un trouble particulier de l'intelligence et favorisé par un contexte psychologique et familial souvent considéré comme déterminant. On sait à présent qu'il n'en n'est rien...

- Depuis une quinzaine d'années, en effet, divers travaux de recherche ont permis de préciser les particularités de la structure cérébrale du dyslexique (cortex cérébral). Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, dans la majorité des cas, les résultats de ces recherches tendent à montrer que le cerveau du dyslexique, loin de manquer de substance cérébrale, en particulier cette substance grise qui contient l'origine des neurones, en possède en excès, un excès considérable puisqu'il s'agit de plusieurs millions de neurones supplémentaires ! Les données disponibles sur le développement normal du cortex permettent de dater au milieu du 6° mois de gestation le mécanisme anormal ayant abouti à la production de neurones en excès et en position atypique.

- Les spécialistes de la microscopie cérébrale ayant analysé ces cerveaux de dyslexiques ont également découvert des anomalies cellulaires non plus au niveau de la surface corticale, mais dans la profondeur des hémisphères, au sein de noyaux qui servent de relais aux voies auditives et visuelles. Plus précisément, il existe une atrophie des grosses cellules de ces noyaux, dont on présume qu'elles servent à véhiculer un certain type d'informations sensorielles ayant trait à la perception globale et à la transmission rapide de l'information, tant auditive que visuelle. Ces anomalies magnocellulaires sont à rapprocher des anomalies de la perception des informations visuelles rapides et à faible contraste chez le dyslexique.

- Latéralisation du cerveau et dyslexie : quand la droite et la gauche ne se parlent plus ! Une des particularités les plus étonnantes du cerveau humain est d'être constitué de deux moitiés (hémisphères) reliées par un pont de substance blanche ( le corps calleux). Ces deux hémisphères, bien que morphologiquement très similaires, fonctionnent en fait de manière très différentes. Le gauche contient tous les centres et circuits spécialisés dans le langage, alors que le droit est pratiquement incapable de toute activité linguistique, mais contient la plupart des circuits permettant la perception spatiale, en particulier sur le mode visuel, du monde environnant.
Des travaux récents ont ainsi démontré deux différences fondamentales entre les cerveaux des sujets dyslexiques et non dyslexiques :
* une modification de l'asymétrie entre les parties droite et gauche de certaines zones de la surface cérébrale,
* une augmentation de la taille du corps calleux. Dans les deux cas, ces particularités correspondent à des millions de cellules nerveuses supplémentaires sur le cerveau du dyslexique par rapport au non dyslexique.

- Facteurs génétiques : parallèlement à ces considérations scientifiques, on constate que dans plus de 50% des cas, il existe dans la famille proche du dyslexique un ou plusieurs cas ayant des caractéristiques similaires, même si l'étiquette ''dyslexie'' ne leur a pas été nécessairement apposée. Par exemple, il est fréquent qu'un père découvre à l'occasion de la dyslexie de son fils qu'il a lui-même souffert durant son enfance du même type de trouble.
- Pédagogie : l'utilisation par les enseignants d'une méthode globale ou semi-globale d'apprentissage repose sur le postulat que le système d'assemblage est parfaitement fonctionnel, ce qui peut être vrai chez la majorité des enfants, mais pas pour les 10 % d'enfants qui souffrent de dyslexie. Chez eux, ce type de méthode peut donc s'avérer désastreuse, en particulier par le fait qu'elle risque de masquer le trouble et de retarder d'autant le début de la rééducation.

DEPISTAGE

Un dépistage est indispensable, aussi précoce que possible. Il est envisageable dès la maternelle pour recenser les signes prédictifs de risques de difficultés à survenir au moment du vrai ''contact'' avec les apprentissages du langage écrit ( au CP).
Les années suivantes sont elles aussi capitales à surveiller, pour éviter l'installation dans l'échec. Il est important que ce dépistage ne soit pas délégué uniquement à l'école. Il faut au contraire une association des vigilances des parents, de l'entourage, du médecin et des enseignants.
La dyslexie/dysorthographie est une des principales causes d'échec scolaire, puis professionnel, voire social.Tant qu'elle n'est pas reconnue, comprise et rééduquée, l'enfant ou l'adulte est en souffrance, et les attitudes de l'environnement familial, scolaire ou professionnel souvent inadaptées par ignorance.
Chez l'enfant se développe alors le dégoût pour l'écrit, et le désinvestissement progressif des matières demandant un effort de lecture. Le langage restera alors pauvre, le travail sera lent, on observera une fatigue et une difficulté à transcrire le contenu de la pensée, et à intégrer le discours des autres. A long terme pour la vie adulte, la dyslexie/dysorthographie incorrectement prise en charge est reconnue comme un lourd facteur d'inadaptation socioprofessionnelle.

PRISE EN CHARGE

Un diagnostic différentiel précis est indispensable, pour que les réponses thérapeutiques soient bien appropriées. Il faut rappeler que les types, les intensités, et contextes des dyslexies/dysorthographies sont très variés. Ceci conduit à des examens divers d'autant plus complets et pluridisciplinaires que les troubles sont complexes et sévères . En effet, pour les troubles graves, les examens doivent être à champ large et cumuler les domaines :
* médical,
* psychologique ( évaluation des contextes familiaux, affectifs, sociaux ; potentiel intellectuel, état/fonctionnement psychologique),
* orthophonique ( langagier),
* psychomoteur ( temporalité, spatialité),
* neuropsychologique ( état et articulation des fonctions cognitives essentielles au langage),
* scolaire ( niveau des acquisitions et des difficultés, fonctionnement cognitif, comportement,...).

Différentes prises en charge rééducatives devront alors être entreprises. Elles seront d'ordre langagier et neuro-cognitif pour le versant intrinsèquement langagier et d'ordre psychologique ou psychothérapeutique si nécessaire en fonction des dégâts constatés sur la personnalité et la motivation.
Leur nature, leur pluridisciplinarité, et leur fréquence dépendra là aussi de la nature et de l'intensité du trouble. L'orthophonie étant pratiquement toujours impliquée lorsqu'il s'agit de troubles spécifiques au langage.
Parallèlement, une adaptation pédagogique devrait pouvoir être aménagée en classe, pour ajuster les exigences aux progressions scolaires possibles en lien avec les rééducations et il sera primordial de conserver absolument des espaces scolaires de valorisation. Il faut absolument s'unir pour soutenir le combat contre les problèmes de langage écrit, qui sont toujours complexes...

QUEL PRONOSTIC ?

L'évolution des troubles du langage écrit va dépendre de plusieurs facteurs, qui peuvent varier suivant les enfants concernés en rapport avec :
* le type de dyslexie/dysorthographie : certains sont plus ou moins faciles à traiter,
* l'intensité des troubles : les troubles sévères sont évidemment plus résistants aux rééducations,
* la précocité du dépistage,
* l'existence, la régularité et l'intensité des rééducations qui peuvent durer plusieurs années pour les cas les plus sévères,
* les soutiens rencontrés venant alimenter la motivation, la réparation des vécus d'échec,
* la vigilance, la coopération et la coordination entre famille, école et rééducateurs. Dans de bonnes conditions de traitement, d'environnement et de soutien, les troubles dyslexiques, dysorthographiques se réduisent, souvent très nettement, mais ne ''disparaissent'' vraiment complètement que s'ils étaient d'intensité légère. Les cas moyens et sévères vont souvent gagner des performances bien améliorées et moins handicapantes autorisant le plus souvent études et formations. Mais ils laisseront souvent une faiblesse par rapport à l'écrit.

C'est pourquoi, l'éducation des enfants dyslexiques/dysorthographiques doit particulièrement comporter une éducation à l'effort personnel ( éducation à ne pas affecter uniquement à l'école ou aux rééducateurs, mais qui relèvent fortement aussi des parents !).
Enfin les tolérances et adaptations possibles à travers les structures scolaires ou professionnelles de notre société seront autant de chances d'intégration laissées à ces enfants ou adultes au fonctionnement du langage certes plus difficiles, mais dont les ressources d'intelligence normale et de richesse personnelle valent celles de nous tous...

Valérie ALBERTI , orthophoniste (Luxembourg)
Catherine VERDIER , psychologue (Luxembourg)

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