mardi 4 mars 2008

Interview Psychanalystes qui êtes vous.doc

Psychanalystes,
qui êtes-vous?


Roger
Perron















Face
aux attaques récentes lancées dans les médias
contre la pensée freudienne, trente-six des plus grandes
signatures de la psychanalyse ont souhaité présenter
leur pratique et illustrer ce qu’est vraiment la psychanalyse
aujourd’hui. C’est tout l’enjeu du livre
Psychanalystes,
qui êtes-vous ?

(InterEditions, 2006), élaboré sous la direction de
Roger Perron, membre titulaire de la
Société
psychanalytique de Paris (SPP)
et
directeur de recherches honoraire au CNRS, qui réunit ici les
contributions d’auteurs apportant un éclairage
spécifique sur les pratiques psychanalytiques d’aujourd’hui.
Un ouvrage dépassionné à destination du grand
public éclairé et des étudiants et
professionnels du soin psychologique… Une lecture
complémentaire du livre
Une
psychanalyse, pourquoi ?

(R. Perron, InterEditions, 2006).



Pouvez-vous
rappeler le contexte d’écriture de ce livre ?



Ce
livre s’inscrit en réaction contre une irritation
croissante de nombre de mes collègues et de moi-même
devant la manière dont les grands médias abordent la
question psychanalytique, avec des titres plus ou moins polémiques
comme «la guerre des psys», par exemple. Dans ses
controverses publiques, la psychanalyse est parfois représentée
par des personnes en qui les trente-six signataires de ce volume ne
se reconnaissent pas.
Pour nous auteurs, il n’y a pas de
guerre, mais une certaine façon de pratiquer la psychanalyse,
de la vivre dans les métiers que nous exerçons. Ce
livre est un ensemble de témoignages de ce que nous sommes et
de nos pratiques.



Vous
avez réuni dans cet ouvrage les contributions de
psychanalystes aux parcours diversifiés : quel est l’objectif
de cette parole multiple ?



Les
auteurs sont tous des psychanalystes praticiens, mais certains
d’entre eux sont des universitaires, d’autres des
psychiatres... La règle des sociétés de
psychanalyse auxquelles nous appartenons considère comme
essentiel la formation psychanalytique, que cette formation soit
ensuite d’origine psychiatrique ou issue d’un parcours
de psychologue clinicien.
Certains des signataires de ce livre
ont des responsabilités institutionnelles dans des centres de
traitement, ils exposent leur pratique dans la partie intitulée
«Des institutions et des hommes». Dans les cinq
chapitres qui la composent, nous avons en effet voulu montrer que la
psychanalyse ne se réduit pas au divan et au fauteuil, mais
qu’elle marque des quantités de pratiques
professionnelles, y compris dans des institutions où le
travail d’équipe est important.



Comment
expliquer la récurrence des débats psychanalytiques
sur la pensée freudienne ?



Si
vous me demandez pourquoi nous, psychanalystes, nous nous
remettons-nous en question, je vous réponds : parce que la
psychanalyse est, par essence, remise en question. Dans le principe,
il est bon de remettre Freud en question. Parmi les contradicteurs,
il y a des gens de bonne foi, ceux que Freud lui-même appelait
«le contradicteur de bonne foi». J’ai beaucoup de
collègues psychologues ou psychanalystes qui sont de bonne
foi et remettent Freud en question.
Les remises en question
informées méritent de l’intérêt –
au cours de sa vie, Freud lui-même a d’ailleurs eu des
propos ou des prises de position contradictoires.



À
la Société psychanalytique de Paris à laquelle
j’appartiens, il y a de nombreux séminaires pour
discuter et comprendre ce que Freud a exprimé, avec des
débats passionnants, riches et vivants. La France reste l’un
des pays où l’on continue d’apporter beaucoup
d’importance aux écrits de Freud et à les
discuter, sans pour autant «révérer»
Freud.



Quel
est le fil conducteur de votre livre ?



Il
s’agit de témoigner de ce que nous sommes, de ce que
nous faisons, de ce qui nous anime… Si l’investissement
des psychanalystes dans leur pratique est bien de l’ordre du
soin, il dépasse bien souvent le seul sens médical de
ce mot : il s’agit d’une pratique de soin dans tous les
sens du terme. Voilà ce qui anime tous ces gens, même
si, dit ainsi, cela peut paraître un peu grandiloquent. Cet
investissement donne du sens à notre vie, sinon on ne le
ferait pas.
Ce qui m’a frappé dans les témoignages,
c’est un accent de vérité que l’on
retrouve dans des textes cliniques, notamment ceux d’Évelyne
Séchaud, Dominique Cupa, Colette Chiland. Nous avons évité
le jargon qui aurait nécessité des notes de bas de
page et, en annexe, un dictionnaire de la psychanalyse. Nous avons
vraiment limité l’apport théorique au profit
d’une présentation de nos pratiques.
Quand j’ai
conçu cet ouvrage, j’ai voulu convoquer le témoignage
de collègues, d’amis que je connais tous
personnellement, en leur demandant d’expliquer ce qu’ils
faisaient dans la vie… J’ai collectionné une
quarantaine de textes puis j’ai conçu un plan qui s’est
parfaitement adapté à ces témoignages, sans
doute parce que cela reflétait de façon assez exacte
ce qu’ils faisaient. Beaucoup d’entre eux consacrent une
part de leur activité à des enfants ou à des
adolescents, notamment en institutions.



Quelle
place accordez-vous dans le livre au travail des psychanalystes
auprès des jeunes?



Freud
disait «L’enfant est le père de l’homme»:
la psychanalyse consiste en fait à refaire son histoire et sa
préhistoire personnelle, en parcourant sa vie. Voilà
pourquoi nous nous intéressons tant aux adolescents. Nous
agissons aussi dans une optique de prévention. Quand on a
l’impression qu’un gosse va mal, qu’il a sept ans
et que l’on peut encore faire quelque chose, alors on essaie…
Nous sommes nombreux à agir ainsi. Et il faut bien
reconnaître que la France, malgré tout ce qui ne va
pas, est l’un des pays qui a développé un
système de soin particulièrement développé
pour les enfants et les adolescents. Quand on sollicite des
psychanalystes, nombreux sont donc ceux qui interviennent auprès
de jeunes.
Mais tous les signataires de cet ouvrage ont aussi une
pratique de la psychanalyse adulte, car celle-ci est au cœur
de la formation en psychanalyse.



Peut-on
reconnaître une vocation sociale à la psychanalyse ?



S’il
s’agit d’aider à ce que des vies aillent mieux,
bien évidemment nous avons des réponses. Nos
responsabilités impliquent aussi de collaborer avec des
éducateurs et des sociologues.
Tous les gens qui
travaillent en institutions sont dans ce cas : nous essayons
d’apporter de l’aide individuelle à des enfants
et à leurs familles, au cas par cas, avec une prise en charge
globale de type familial. S’il s’agit d’apporter
une contribution à des problèmes sociétaux
généraux – quel est le malaise actuel de
l’adolescence, pourquoi les voitures brûlent-elles en
banlieue, pourquoi il y a la drogue… – certes, un
psychanalyste peut avoir des réponses, mais il faut se garder
d’un certain «impérialisme» actuel qui
consisterait à dire : «nous, on a la réponse».
Malheureusement les médias ont un peu tendance à dire
: «voilà la réponse psychanalytique»…
C’est d’une prétention ridicule s’il est
impliqué que c’est la meilleure voire la seule réponse
possible. La psychanalyse peut bien sûr apporter des éléments
de réflexion, mais ne prétend aucunement détenir
toutes les clés du problème.



La
psychiatrie et la psychanalyse arrivent-elles à collaborer ?



Dans
la partie «Des institutions et des hommes», il y a
souvent des références à cette alliance entre
psychiatrie et psychanalyse, mais il y a aussi toute une section
dans la partie «alliances, cousinage, fâcheries»où
l’on explique qu’il y a des conflits qui ne sont pas
pour autant des guerres – notamment les chapitres de S.-D.
Kipman, S. Lepastier et V. Kapsambelis. À peu près la
moitié d’entre eux sont des psychiatres, mais certains
n’exercent plus la psychiatrie; certains agissent dans
certains cadres avec certains patients en tant que psychiatres,
et dans d’autres cadres avec d’autres patients, ils
agissent en tant que psychanalystes. Mais les rôles
restent toujours distincts, pour toutes sortes de raisons qui
ressortent de la théorie de la pratique. Il y a bien sûr
des collaborations thérapeutiques entre psychiatres et
psychanalystes qui fonctionnent très bien. Depuis quelques
années se développe par ailleurs une psychiatrie qui
se veut athéorique (cf. S Lepastier), dont
l’instrument le plus connu est le DSM (Diagnostic and
Statistical Manual
), un «catalogue» des états
psychopathologiques conçu par des psychiatres américains
avec en perspective, l’élaboration d’un
système-expert… Dans cette situation idéale, il
suffirait pour soigner de repérer les symptômes puis de
consulter le manuel censé vous indiquer de quelle maladie il
s’agit et, bien sûr, les médicaments à
prescrire… Parmi toutes les polémiques de ces
dernières années, ce phénomène prend de
l’ampleur car apparemment cela ne coûterait pas cher,
«ce serait rapide et efficace «et pourrait donc tout à
fait séduire les pouvoirs publics. En outre, l’alliance
objective des laboratoires et des compagnies d’assurances va
dans ce sens, avec une forte médiatisation de certains
promoteurs abusifs des thérapies cognitivo-comportementales,
notamment des techniques aversives à habillage
pseudo-scientifique.
Les techniques dites
cognitivo-comportementales ne se résument heureusement pas à
cela …



Y
a-t-il place pour le traitement médicamenteux dans le soin
psychanalytique?



On
peut combiner certains moyens thérapeutiques avec la pratique
psychanalytique, mais cela doit s’examiner au cas par cas : y
a-t-il avantage à combiner les deux types d’action ? Et
comment le faire ? Cela suppose en fait une répartition des
rôles et un minimum de coordination entre les deux praticiens,
le psychiatre et le psychothérapeute ou psychanalyste.
S’il
y a eu autrefois une prévention naïve des psychanalystes
contre les traitements médicamenteux, on n’en est plus
là et ce n’est pas le cas des signataires de ce livre.
Si quelqu’un souffre d’angoisse et n’arrive plus à
réfléchir en raison de cette souffrance, il n’y
a pas de raison de lui refuser un médicament qui pourra
l’aider à alléger cette souffrance.
Le
recours à des psychotropes est tout à fait admis par
les psychanalystes, à condition que ce traitement soit bien
appliqué. Malheureusement les médecins généralistes
sont souvent mal informés sur l’usage de ces
traitements et sur les effets paradoxaux des psychotropes.



À
qui destinez-vous cet ouvrage ?



Ce
livre est d’abord destiné à un public
suffisamment éclairé pour être intéressé
par des témoignages de praticiens. Il s’adresse aussi à
un public plus spécialisé, aux personnes qui
travaillent dans des systèmes de soin, auprès de
psychanalystes, qui y découvriront alors la diversité
des pratiques. Les étudiants en psychologie clinique et en
psychiatrie trouveront également dans ce livre une
information sur les pratiques qu’ils ne connaissent pas.











©
DUNOD EDITEUR, 21 Octobre 2006














Centre Repères



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