mardi 4 mars 2008

Sécher l'école, une nouvelle mode

Aujourd'hui,rater des cours pour des raisons de confort personnel touche de plus en plus d'élèves, et de plus en plus jeunes. Mépris du système scolaire ? Démission des parents ? Des clés pour comprendre et réagir.

Elodie est en troisième. Bonne élève, surtout dans les matières scientifiques, elle rêve de devenir vétérinaire. Louis, plus irrégulier dans ses résultats, est en seconde. Passionné de musique, il oscille entre l'envie d'en finir au plus vite avec les études et le désir de s'assurer « un bon avenir ». Marine, en première L (littéraire), veut travailler plus tard dans l'humanitaire. Leur point commun ? Ils sèchent, plus ou moins régulièrement, certains cours, ceux qu'ils estiment « moyennement importants », ou ceux qui les « gavent trop ». Comme leurs résultats sont globalement satisfaisants, ils ne s'attirent ni les foudres de leurs parents, ni celles de leur lycée ou collège. Ces heures volées, ils les utilisent pour « s'aérer la tête », « faire du shopping » ou bien « traîner », tout simplement. Ils sèchent aussi parfois un cours, lorsqu'ils n'ont pas fait leurs devoirs ou pas suffisamment préparé un contrôle, préférant alors recevoir un courrier pour « absence injustifiée » qu'une mauvaise note, plus pénalisante à leurs yeux.
Ces « sécheurs à la carte » sont représentatifs du nouvel absentéisme scolaire. Un phénomène qui touchait, il y a quelques années encore, principalement les lycées professionnels, et qui s'étend désormais aux établissements « classiques ».
Autre nouveauté, il concerne des élèves de plus en plus jeunes : l'absentéisme commence dès la quatrième. Ce phénomène en pleine expansion inquiète les professionnels de l'éducation, au point que ce thème fait ce mois-ci l'objet d'un grand colloque initié par Patrice Huerre (auteur, entre autres, de "Faut-il plaindre les bons élèves ?" Hachette, 2005), psychiatre, psychanalyste et directeur médical de la clinique médico-universitaire Georges-Heuyer, à Paris. Mikaël, 23 ans, aujourd'hui graphiste, a été par le passé un « sécheur chronique ».
« Après avoir redoublé la troisième pour cause de "décrochage", je suis entré dans une école de dessin, je sélectionnais les cours parce que je savais quelles matières comptaient pour l'examen final. Pendant ma scolarité, je n'ai jamais eu le sentiment qu'il fallait absolument aller à tous les cours. » Pour Patrice Huerre et nombre de ses confrères, le choix des cours « à la carte », ainsi que les absences pour confort personnel ou par refus des contraintes s'inscrivent dans un mouvement plus vaste, dans notre culture actuelle qui fait la promotion de l'individu et de son droit au plaisir. « L'école n'échappe pas au consumérisme valorisé par notre société, s'insurge André Agard-Maréchal, psychologue scolaire et psychothérapeute (auteur d'"Il aurait pu être bon élève" Albin Michel, 2005). Le savoir est devenu une marchandise comme une autre, et les loisirs le seul but de la vie des adultes, donc des parents. Il n'y a rien d'étonnant à ce que les élèves se comportent comme des clients à l'école ! » Dès lors, considérées par eux comme « inutiles », certaines matières – la musique, les arts plastiques ou le sport – sont facilement rayées de la carte. Pour le sociologue Gilles Ferréol, l'école ne remplissant plus son rôle d'ascenseur social – les nombreux diplômés au chômage le prouvent –, la crise de confiance gagne du terrain, chez les élèves et leurs parents. Ces derniers hésitent de moins en moins à couvrir les absences de leurs enfants, quand ils n'en sont pas eux-mêmes à l'origine. Les conseillers principaux d'éducation voient d'ailleurs se multiplier les mots d'absence pour cause de départ prématuré en week-end, de fêtes familiales ou religieuses...
« Quand je vois qu'elle est vraiment trop fatiguée, c'est vrai que je l'autorise quelquefois à sécher un cours à 8 heures, si la matière n'est pas trop importante », reconnaît la mère de Marine. Quant aux parents de Louis, alertés par le lycée à propos de deux demi-journées d'absence injustifiées, ils ont fait le choix de couvrir leur fils. « Il était dans une période un peu difficile... Après une rupture amoureuse, il avait besoin de prendre un peu d'air. Nous lui avons quand même dit que cela ne devait pas se reproduire... »

Peur des conflits, souci de maintenir l'équilibre de l'enfant ou encore règlements de comptes inconscients avec l'institution école de la part des parents, il y a de nombreuses explications à la « compréhension » parentale. Pour Patrice Huerre, ce qui prédomine, c'est la difficulté à tenir une position d'adulte. « La peur du conflit est omniprésente. De nombreux parents préfèrent négocier, marchander parfois, avec leurs enfants, plutôt que de prendre le risque de les affronter. Ils hésitent à taper du poing sur la table et à rappeler que tant que leur enfant est mineur, ce sont eux qui décident de ce qui est bon pour lui. » Pierre, père d'une adolescente de 16 ans, songe à trouver l'année prochaine « un bon établissement sans cours le samedi. » Maison de campagne oblige, le vendredi soir, la famille part se mettre au vert pour deux jours. « Cette année, à cause des cours de physique et de maths du samedi matin, on est bloqués ! » râle-t-il. Phénomène nouveau également, l'école vécue comme une entrave au confort familial! Une heure grappillée par-ci par-là peut-elle sérieusement menacer la scolarité d'un élève ? De nombreux parents en doutent, surtout si les résultats de leur enfant ne souffrent pas de ces entorses à l'emploi du temps. Pour les élèves moyens, en revanche, le danger est bien réel. « N'oublions pas que l'absentéisme ne s'installe pas brutalement du jour au lendemain. C'est un processus long et insidieux, que je trouve assez comparable à une conduite addictive », prévient Jean-Guy Lebeau, conseiller principal d'éducation. « J'ai redoublé la troisième à cause de mes absences. Et comme lors de ma deuxième troisième, tout le monde me considérait comme un cancre, c'était presque légitime pour moi de ne pas venir en cours », témoigne Mikaël. Il ajoute qu'il ne savait plus s'il manquait parce qu'il ne suivait plus ou s'il ne suivait plus parce qu'il manquait des cours. Il suffit parfois d'un mauvais passage, d'une série de mauvaises notes auxquelles s'ajoutent des absences régulières pour que l'élève ait le sentiment qu'il n'a plus sa place à l'école et qu'il décide de s'exclure du système. « Le "décrocheur" peut devenir aussi vulnérable qu'un adulte au chômage, constate ainsi José Puig, directeur des études et de la pédagogie à la Fondation santé des étudiants de France. Etre collégien ou lycéen est un statut social pour un jeune. »
« Quand je séchais, j'étais quand même un peu triste de faire de la peine à ma mère, il m'arrivait même parfois de culpabiliser en imaginant le prof se demander où j'étais... », ajoute Mikaël. En transgressant la loi, l'adolescent teste les adultes, il veut s'assurer de leur présence et de leur solidité. Or, si la première absence n'est pas relevée ni sanctionnée, par l'école et les parents, la deuxième et celles qui suivront seront vécues par l'adolescent avec moins de culpabilité, mais avec le sentiment qu'il n'existe personne pour le retenir et lui éviter de mettre son avenir en danger. « Ce n'est pas un hasard si dans les établissements signalant aux parents les absences injustifiées de leurs enfants, soit en leur écrivant, soit en leur téléphonant, on enregistre un taux d'absentéisme nettement plus faible », souligne André Agard-Maréchal. La première absence injustifiée doit impérativement être relevée par les parents, insiste Patrice Huerre. « Le parent doit absolument manifester son désaccord et accepter les éventuelles sanctions de l'école. Il doit ensuite amorcer le dialogue avec son enfant pour tenter de comprendre ce qui est en jeu. Car derrière une absence injustifiée, en apparence banale, peut se cacher un vrai problème : une mauvaise orientation scolaire, la peur du racket, un différend sérieux avec un professeur, une trop grande pression sur les résultats scolaires... ou une histoire d'amour malheureuse. » Il est essentiel de ne pas rester uniquement focalisé sur le « problème école ».
Si les parents constatent qu'il ne s'agit que d'une école buissonnière classique, il est important de rappeler fermement, avec des menaces de privations à la clé, qu'ils n'en toléreront pas d'autres. Se sentant « tenu » et soutenu, l'élève est moins tenté de transgresser. Car pour l'enfant, un parent aveugle ou complice est un parent qui ne se soucie pas de lui.
A LIRE :
" L'Absentéisme scolaire : du normal au pathologique ", collectif, sous la direction de Patrice Huerre. Une analyse du problème et des clés pour le résoudre, par des sociologues, pédagogues, psychiatres et psychologues (Hachette, 336 p., 20 E, à paraître le 8 mars). L'école buissonnière a toujours existé, mais pour le psychiatre et psychanalyste Patrice Huerre, la nouveauté réside dans la multiplicité des profils des absentéistes. Dans la famille des sécheurs occasionnels ou chroniques, cinq types émergent.L'école buissonnière a toujours existé, mais pour le psychiatre et psychanalyste Patrice Huerre, la nouveauté réside dans la multiplicité des profils des absentéistes. Dans la famille des sécheurs occasionnels ou chroniques, cinq types émergent.
L'absentéiste de proximité : Il sèche les cours sans toutefois s'éloigner de l'établissement. Parfois même, il reste dans l'établissement. Il sèche parce qu'il n'a pas fait ses devoirs, qu'il a mal préparé un contrôle ou tout simplement parce qu'il n'a pas envie d'aller en cours. Il transgresse, mais le lieu scolaire reste important pour lui.

L'absentéiste consommateur : Il choisit ses cours à la carte. Il sacrifie certaines matières jugées secondaires, ou trop « prises de tête », il s'octroie des pauses pour « respirer ». En général, il ne manque ni contrôles ni examens, il est plutôt bon élève.

L'absentéiste présent : Il est physiquement présent au cours, mais sa tête est ailleurs. Il n'est pas impliqué dans la vie scolaire, il suit les cours parce qu'il le faut et qu'il ne sait pas quoi faire d'autre. Appartiennent souvent à cette catégorie les élèves mal orientés ou présentant des symptômes dépressifs.
L'absentéiste provocateur : Il s'absente pour se faire remarquer, pour agresser parents et institution. Paradoxalement, il est en quête d'adultes pour le freiner et le recadrer.
L'absentéiste phobique : On le croit à tort irresponsable ou « glandeur », mais en réalité, l'école le rend littéralement malade d'angoisse. Il sèche les cours pour « sauver sa peau ».
Laura, 13 ans Elève de quatrième
« Il y a un cours où l'on n'apprend rien. J'ai déjà pensé à le sécher, mais je ne l'ai jamais fait. Parce que dans mon collège, il faut pointer dès qu'on passe la porte. Donc même si je n'allais pas en cours, je ne pourrais pas sortir : ça servirait à rien ! »
Michaël, 14 ans Elève de troisième
« Dans mon collège, ils téléphonent aux parents seulement après plusieurs heures d'absence. Moi, chaque fois que j'ai séché, mes parents l'ont su, soit par moi, soit par un prof. Mais ils n'ont rien dit : ils savent que les rares fois où je ne suis pas allé à un cours, c'est parce qu'il n'était pas important. »
Agathe, 13 ans Elève de quatrième
« Je n'ai jamais été absente par choix. Mon père me fait confiance ; si je n'allais pas en cours, c'est comme si je lui disais : "Je m'en fous." En plus, je sais qu'un élève a séché et qu'il a été renversé par une voiture. Il y a eu toute une histoire, après, avec les assurances. Ça, ça fiche la trouille. »
Valentine, 14 ans Elève de quatrième
« L'absentéisme ? C'est débile : je m'ennuie si je ne vais pas en cours alors que mes copines y sont. Moi, je pense à mon avenir : même s'il y a des matières qui me paraissent nulles ou des profs pas intéressants, je sais que ça me servira, au moins pour passer en troisième. »
Félix, 14 ans Elève de troisième
« Ça m'est arrivé... cinq ou six fois dans l'année. Parce que j'avais la flemme de me lever, ou que le cours était inutile, genre la technologie : qu'est-ce que je m'en fous, moi, de la techno ! Mais j'essaie de ne pas rater les matières importantes parce que, après, il faut rattraper les cours ! »
Carmen, 18 ans Elève de terminale
« Cette année, il m'arrive à peu près trois fois par mois de ne pas aller à la première heure de cours. Pour rattraper du sommeil lorsque j'ai révisé tard le soir. Ce n'est pas un sujet tabou avec mes parents ; ils ont confiance en moi, ils savent que je ne prends pas mes études à la légère. »
François, 17 ans Elève de terminale dans un lycée privé
« Très honnêtement, si je n'étais pas dans un lycée aussi strict, j'aurais déjà séché plus d'une fois ! Enfin, les cours qui ne m'intéressent pas, comme la philo : en terminale S, je trouve qu'on en a trop, ça ne sert à rien ! Mais bon, je n'ai pas le choix, j'y vais... quitte à somnoler pendant le cours ! »
Vittorio, 17 ans Elève de terminale dans un lycée privé
« A mon niveau, ce serait stupide : rattraper les cours, c'est plus difficile que d'y aller. Puis dans mon lycée, si tu es absent, tu risques de une heure de colle à plusieurs jours de renvoi. Sauf si tu as un mot d'excuse des parents. »
Fanny, 16 ans Elève de terminale dans un lycée privé
« Je suis une élève très sage ! Je ne sèche que le sport ou la philo, des matières où j'ai l'impression de perdre mon temps. Et quand ça m'arrive, c'est toujours avec l'accord de mes parents et pour réviser des cours. Mais je comprends que l'absentéisme soit si surveillé : c'est pour notre bien avant tout. »
Selon la loi du 10 juillet 1989, est considéré comme absentéiste un élève qui cumule plus de quatre demi-journées par mois d'absence non justifiée. Pour des raisons techniques, l'Education nationale assimile souvent une heure d'absence à une demi-journée. En règle générale, le conseiller principal d'éducation informe les parents par téléphone dès la première heure d'absence. Les sanctions les plus fréquentes se traduisent par des heures de colle.


www.biladi.ma
2007-04-18





Aucun commentaire: