mardi 4 mars 2008

Le Doudou.doc


Le
Doudou : Objet Transitionnel








Ce matin,
Guillaume, 15 mois, arrive à la crèche pour la première
fois. Sa maman, un peu anxieuse à l'idée de laisser son
fils, le serre dans ses bras un peu plus fort qu'à
l'accoutumée. Guillaume est pour sa part absorbé par ce
qui se passe autour de lui : de nombreux enfants qui pleurent, des
parents inquiets et des puéricultrices qui essaient de
rassurer tout ce beau monde comme elles peuvent. "Avez-vous
pensé à lui laisser sa peluche ou son jouet fétiche
?"



Cette phrase
s'adresse à la maman de Guillaume. Comme tout le personnel,
Maria, l'auxiliaire de puériculture a été formée
pour accueillir les enfants... et les parents ! En demandant cela,
elle permet à la mère d'adoucir le sentiment de
culpabilité qui assaille toutes les mamans en cet instant
délicat où l'on doit se résoudre à
"abandonner" son enfant entre les mains d'une autre
personne, même si elle est la meilleure des professionnelles !
Mais cette démarche permettra avant tout à l'enfant de
mieux supporter la séparation : en l'absence de la mère,
le fameux "doudou" va lui garantir une certaine continuité
psychique à travers la douceur et la chaleur que lui procure
cet objet fortement investi de la présence de la mère.
C'est ce que les professionnels appellent un "objet
transitionnel".



Donald
W. Winnicott

(1896-1971) occupe une place importante dans l'histoire de la
psychanalyse contemporaine. Ce pédiatre de formation donna
très tôt une orientation psychologique aux consultations
qu'il donnait au Paddington Hospital de Londres : durant quarante
ans, il ne cessera d'observer les enfants, ce qui l'amènera
très vite à élaborer une théorie qui
remet en cause certaines pratiques analytiques de l'époque et
à arriver aux conclusions suivantes :



- Il faut s'attacher
aux faits : selon lui, le danger de la théorie, c'est de figer
le sujet à l'intérieur d'un cadre de référence
trop exiguë. Vouloir faire coïncider à tout prix la
pratique avec la théorie risque de mener à une
interprétation qui passe à côté de
l'essentiel : les faits observés tels qu'ils sont. Winnicott
se méfie de ces psychanalystes qui se perdent dans un discours
déconnecté de toute réalité clinique :
selon lui, la sensibilité doit constituer l'outil principal de
tout thérapeute parce qu'elle seule permet de rendre compte
des faits les plus subtils.



- Le jeu constitue
un moyen simple d'entrer en communication avec l'enfant : s'inspirant
des idées de
Mélanie
Klein

(autre psychanalyste célèbre), Winnicott développe
l'idée centrale de son œuvre autour du jeu qu'il
considère comme l'outil thérapeutique privilégié
permettant d'établir une complicité entre l'enfant et
le médecin. Selon lui, le travail en psychothérapie
doit permettre d'amener le patient (enfant mais aussi adulte) d'un
état où il n'est pas ou peu capable de jouer à
un état où il sera capable de le faire. Le squiggle
(sorte de gribouillis qui consiste à laisser aller son crayon
courir sur une feuille de papier) constituera l'une de ses techniques
favorites. Il est à noter que ce jeu est un jeu sans règles
qui permet à chacun de se laisser aller : c'est précisément
cette absence de règles qui permet le surgissement de
l'imprévu, et plus particulièrement l'évolution
du jeu vers un détail significatif qui va permettre
d'atteindre la zone de conflit du sujet. Pour un enfant plus petit,
Winnicott a recours à un autre type de "jeu". Il
utilise une spatule (un abaisse-langue métallique) qu'il place
à portée de l'enfant sur la table de consultation.
Cette spatule bien en évidence suscite généralement
une séquence comportementale type chez l'enfant entre 5 et 13
mois : découverte visuelle de l'objet, moment d'hésitation
avant de l'attraper, puis passage à l'acte avec modifications
posturales et métaboliques associées, et enfin, ébauche
de jeu lorsque l'enfant fait volontairement tomber la spatule afin
qu'on lui ramasse. Toute "déviation" dans le
déroulement de cette séquence fournit, selon Winnicott,
des indices significatifs sur les éventuelles perturbations de
l'enfant.



-Le couple
mère-enfant constitue la structure primaire fondamentale :
selon Winnicott, c'est la structure individu-environnement qui va
permettre au psychisme de se construire. Dans le cas du nourrisson,
c'est la relation avec la mère qui constitue cet environnement
primaire. Winnicott pose comme principe que la croissance de l'enfant
suit une progression qui le fait passer d'un état de
dépendance absolue à un état d'indépendance ;
cependant, le potentiel inné de l'enfant pourra se développer
que s'il est couplé aux soins maternels. Si la structure
primaire s'avère défaillante, l'enfant risque de
développer des troubles. Le cadre thérapeutique doit
permettre au patient de se réapproprier cet environnement
primaire autrefois déficient en lui permettant de régresser
aux phases antérieures de son développement. La
psychanalyse autorise donc le patient à redevenir immature
(grâce au jeu en particulier, il pourra redevenir le nourrisson
dépendant qu'il était) afin de mieux réamorcer
sa progression vers l'indépendance.



Winnicott insistera
également sur l'état psychique particulier de la mère
à l'approche de la naissance de son enfant, et surtout pendant
les tout premiers mois de sa vie. Ce que l'on décrit souvent
comme une symbiose entre la mère et l'enfant traduit un fait
psychologique spécifique qui ressemble à de la dévotion
: la mère est à l'écoute permanente de son
enfant, adaptant instinctivement son comportement à ses
besoins. Cependant, cette identification projective s'estompe au fur
et à mesure que l'enfant grandit. Lui succède alors une
phase de dépendance relative au cours de laquelle la mère
"se désadapte" graduellement de son enfant : c'est
au cours de cette période que l'enfant pourra ressentir des
moments d'angoisse (lorsqu'elle sa mère tarde à revenir
par exemple). Fort heureusement, l'enfant commence (entre 6 mois et 2
ans) à se constituer progressivement une représentation
mentale (une sorte d'image de la mère) qui demeure vivante en
lui pendant un certain temps : ce processus va lui permettre de faire
cesser provisoirement cette angoisse liée à la perte de
la mère.



Jusqu'à l'âge
de 6 mois environ, l'enfant n'existe pas encore comme entité :
entièrement dépendant de sa mère, il se
développe uniquement grâce aux soins qu'elle lui
prodigue, et plus particulièrement dans la manière
qu'elle a de le porter. Pour Winnicott, ce holding (du verbe anglais
to hold qui signifie tenir, porter) dépasse le simple cadre de
la stimulation physique : il constitue en fait les toutes premières
manifestations d'amour de la mère à l'égard de
son enfant. De la réussite de ces toutes premières
expériences dépendra l'établissement des
processus fondamentaux du développement affectif de l'enfant.



A partir de l'âge
de 6 mois, l'enfant commence à prendre conscience de son
individualité. Progressivement, il devient capable de
différencier le "dedans" et le "dehors".
Par ailleurs, il sait désormais que sa mère "existe"
en dehors de lui, qu'elle est une personne qui possède ses
propres sentiments qui peuvent aller à l'encontre des siens.
Cependant, grâce au jeu, il peut satisfaire un besoin sans être
dépendant de sa mère : une fois le besoin satisfait, il
est capable de se détacher de l'objet qui aura permis la
satisfaction de ce besoin.



Trois processus
principaux caractérisent cette période de maturation
progressive :



1) L'intégration
succède à un état de non-intégration
primaire (l'enfant intègre progressivement ses premières
expériences multiples et fragmentaires en un tout qui lui
permettra de s'affirmer en tant qu'individualité).



2) L'unité
psychosomatique permet à l'enfant d'acquérir le
sentiment d'exister dans son corps : c'est le handling (l'ensemble
des soins physiques) qui va favoriser la tendance naturelle de
l'enfant à habiter son corps et à trouver du plaisir
aux différentes fonctions corporelles. Le moi de l'enfant se
constituera donc avant tout comme un moi corporel, qui prend racine
dans les différentes expériences que l'enfant aura pu
vivre au niveau sensori-moteur.



3) L'acquisition du
sens du réel constitue l'une des tâches essentielles du
développement psychologique de l'enfant. Selon Winnicott,
c'est le mode de présentation de l'objet (object-presenting en
anglais, terme qui désigne la manière dont la mère
"propose" l'objet à l'enfant : par exemple, le sein,
le biberon, etc...) qui va permettre à l'enfant d'effectuer sa
rencontre avec le réel et de faciliter les allers et retours
entre la réalité intérieure et la réalité
extérieure.



Ce dernier processus
nous intéresse tout particulièrement car c'est à
travers son étude plus poussée que nous allons mettre
en évidence le fameux "objet transitionnel" qui
rendit populaire le célèbre psychanalyste anglais.



Pour expliquer
l’objet transitionnel, prenons l'exemple de la tétée.
Lorsque le bébé a faim, il peut exprimer ce besoin de
diverses manières : pleurs, cris, grognements, etc...
Cependant, s'il sait que sa mère répondra à son
attente (grâce aux différentes expériences
passées qui l'ont confirmé dans ce sens), il pourra
également différer cette attente en "hallucinant"
(c'est-à-dire en se représentant de façon
magique et toute-puissante) le sein (ou le biberon) qui ne va pas
tarder à arriver. Lorsque la mère donne effectivement
le sein, la situation de « toute puissance »
dans lequel se trouve l'enfant pourra l'amener à confondre le
sein réel et le sein fantasmé : en d'autres termes, le
bébé a entretenu, à travers son fantasme, une
telle illusion du sein qu'il ne sait plus s'il s'agit d'une réalité
intérieure ou extérieure. A partir de là,
l'enfant peut avoir l'impression que le sein fait partie de lui-même
puisqu'il réussit à le faire surgir au moment précis
où il le désire le plus.



Cette zone
d'illusion se situe entre la subjectivité et l'objectivité.
Selon Winnicott, c'est cette aire intermédiaire entre réalité
intérieure et réalité extérieure que l'on
appellera « espace transitionnel ». Pour le
petit enfant, cet espace, qui constitue la majeure partie de son
vécu, est important car il rend possible l'acceptation
progressive de la réalité. Différents objets
pourront occuper cet espace mais le pouce constituera l'un des objets
transitionnels les plus prisés de l'enfant, tout comme le
célèbre "doudou". Pour résumer, on
dira donc d'un objet qu'il est transitionnel dans la mesure où
il permet à l'enfant de passer d'un état fusion avec la
mère (sans distinction dehors-dedans) à un état
où il la reconnaît comme distincte de lui.



Il ne faut pas
oublier que le rapport du petit enfant à la réalité
ne s'effectue pas de façon continue, ce qui signifie qu'un
objet sera tantôt perçu comme subjectif (provenant de la
réalité intérieure de l'enfant), tantôt
comme objectif (c'est-à-dire provenant d'une réalité
autre que celle de l'enfant). Cependant, le recours à l'objet
transitionnel marque un réel progrès par rapport au
stade purement hallucinatoire précédent. En effet, même
si l'objet permet à l'enfant de "s'illusionner",
c'est-à-dire de le maintenir dans un état situé
entre l'intérieur et l'extérieur, entre le subjectif et
l'objectif, entre le moi et le non-moi, il ne s'agit plus d'un objet
fictif (comme c'était le cas lorsque l'enfant "hallucinait"
le sein par exemple) mais d'un objet réel que l'enfant
reconnaît en tant que tel. En ce sens, l'objet transitionnel de
Winnicott est donc à distinguer de l'objet interne cher à
Mélanie Klein : pour cette dernière, l'objet interne
n'est en fait qu'un fantasme alors que pour Winnicott, l'objet
transitionnel constitue une étape supplémentaire dans
le processus qui va conduire l'enfant vers la perception du réel,
en particulier grâce aux stimulations sensorielles (effort
musculaire, coordination sensori-motrice) que permet l'objet.



Avec le temps, un
seul objet réussira à cristalliser le fantasme de toute
puissance de l’enfant et lui permettra ainsi de faire
l'expérience répétée de son non-moi :
paré de ces vertus magiques, l'objet prendra alors une telle
importance pour l'enfant que sa disparition, même momentanée,
risque de plonger dans le désarroi le plus total. Il importe
de souligner également que l'objet transitionnel possède
le pouvoir d'évoquer la mère tant que la mère
est réellement disponible pour l'enfant : en effet, lorsque
que sa mère s'absente, l'enfant en garde une image vivante
grâce à l'objet transitionnel; mais si l'absence se
prolonge, l'objet perd sa nature évocatrice ; l'enfant peut
ressentir alors comme une sorte de cassure dans la continuité
de son existence. Fort heureusement, Winnicott nous précise
que la majorité des bébés ne fait pas une telle
expérience traumatisante, et que si cela se produit, les
caresses (ou toute autre manifestation d'affection) suffisent la
plupart du temps à réparer la structure du moi
infantile.
L’objet transitionnel est-il un doudou ? A la
lecture de ce qui précède, on pourrait être tenté
de réduire l'objet transitionnel à un simple "doudou".
Or, l'objet transitionnel ne se réduit pas à l'objet
matériel qui peut l'incarner. C'est l'utilisation de l'objet
(et non l'objet en lui-même) qui intéresse Winnicott en
tant qu'elle permet l'acceptation progressive de la réalité
et l'accession précoce à l'univers des symboles. A ce
titre, l'objet transitionnel ne représente pas le lien entre
la maison et la crèche, mais plutôt le lien mère-enfant
auquel l'enfant peut se référer malgré l'absence
de la mère.
A l'opposé, ce que l'on désigne
sous le terme de "doudou" recouvre des fonctions plus
étendues qui ne correspondent pas toujours à celles de
l'objet transitionnel. Tout d'abord, c'est au niveau des parents que
l'objet transitionnel se charge souvent d'un sens nouveau et
inapproprié : il devient souvent la panacée à
tous les maux enfantins (que l'enfant manifeste le moindre petit
"bobo" et c'est tout de suite au doudou que l'on pense pour
tenter d'apaiser sa souffrance). Ce statut de "bon objet"
peut d'ailleurs s'inverser rapidement, lorsque l'enfant réclame
sans cesse son "doudou" par exemple (cette dépendance
au "doudou" a tendance à irriter profondément
certains parents car elle les renvoie à leurs propres limites
en matière d'éducation). Dans un cas comme dans
l'autre, on s'éloigne sensiblement du sens profond que
Winnicott a voulu donner à ce terme. Un autre cas inquiétant
concerne les parents qui donnent d'office à leur enfant un
objet destiné à lui servir de "doudou" : il
ne faut jamais oublier que c'est toujours l'enfant qui choisit son
"doudou" et non les parents qui lui imposent, sans cela
l'objet sera insuffisamment investi et donc impuissant à
garantir la continuité psychique chez l'enfant.



En psychologie, une
autre question se pose concernant l'utilisation de l'objet
transitionnel en crèche ou en halte-garderie. Bien souvent, le
"doudou" sert de dérivatif et permet aux
puéricultrices (ou aides-puéricultrices) de "gérer
la crise": en donnant son "doudou" à l'enfant,
on pense pouvoir calmer un mal-être qu'on a trop souvent
tendance à attribuer à la séparation avec la
mère (ce qui dispense d'une réflexion en profondeur sur
son propre travail éducatif et empêche du même
coup d'apporter une réponse plus appropriée au problème
posé par l'enfant). Un dernier point concerne la difficulté
à soumettre la gestion des objets transitionnels aux règles
collectives: il semble difficile en effet d'imposer un "doudou"
à un enfant qui n'en ressent pas le besoin ; à
l'inverse, refuser le doudou aux enfants à certaines heures de
la journée (au moment de l'heure du repas par exemple)
constitue un déni total de la fonction première de
l'objet transitionnel (même si, par ailleurs, cette règle
est supposée faciliter le service du personnel de cantine).



Quel destin pour
l’objet transitionnel ? Chez un enfant au développement
harmonieux, tout objet transitionnel sera progressivement désinvesti
puis abandonné, "relégué dans les limbes"
pour reprendre l'expression de Winnicott. Plus l'enfant grandit en
effet et plus il se détache de cet objet qui perd pour lui sa
signification première. Sans être véritablement
oublié, cet objet sera relégué à
l'arrière-plan, l'enfant lui préférant désormais
d'autres centres d'intérêt susceptibles de mieux
répondre à ses besoins.



Chez certains
enfants cependant, l'objet transitionnel est totalement nié,
soit parce qu'il a été "imposé" par
les parents, soit parce qu'il contient des affects et des sentiments
qui sont plus ceux des parents que ceux de l'enfant (par exemple, des
parents qui projettent leurs propres angoisses sur le "doudou").
A l'opposé, il peut se faire que certains parents
surinvestissent le "doudou" de leur enfant, s'adressant
plus souvent à l'objet qu'à l'enfant lui-même :
dans ce cas, l'enfant aura tendance à s'accrocher maladivement
au "doudou" comme si c'était réellement sa
mère. Dans ce dernier cas, il ne s'agit plus là d'un
objet qui facilite la séparation mais bien au contraire d'un
objet qui maintient l'enfant dans un état de fusion factice,
empêchant ainsi l'acceptation progressive de la réalité.
Car au bout du compte, c'est bien de ce paradoxe qu'il s'agit :
l'objet transitionnel, même s'il maintient l'enfant dans une
sorte d'illusion, lui permet dans le même temps d'envisager la
réalité qui se cache sous cette illusion. Lorsque
l'enfant ne verra plus l'utilité de cette partie de
"cache-cache" avec la réalité, c'est qu'il
sera enfin prêt à affronter cette rencontre avec le
réel, étape indispensable à la construction
progressive de son moi.


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