lundi 3 mars 2008

Prévenir le suicide à l'adolescence

Xavier Pommereau
Le suicide représente en France la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans. Chaque année, 40 000 jeunes sont hospitalisés à la suite d’une tentative (120 000 tentatives par an). Xavier Pommereau, psychiatre reconnu qui dirige l'unité médico-psychologique de l'adolescent et du jeune adulte au centre Abadie (CHU de Bordeaux), revient, dans L'Adolescent suicidaire (Dunod, 2005, 3e édition mise à jour) sur les moyens de repérer les tendances suicidaires et de réagir face à un passage à l'acte.
Propositions de réponses aux questions quotidiennes des acteurs de terrain…

Votre ouvrage sur l'adolescent suicidaire, déjà largement reconnu, fait l’objet d’une nouvelle édition enrichie et mise à jour. Dans notre société moderne, l’adolescence est-elle une période plus difficile à vivre que dans le passé ?

En effet, l’adolescence est une période plus difficile à vivre aujourd’hui, notamment parce que la primauté de l’individu sur le groupe oblige chacun à se définir d’avantage qu’auparavant. C’est une grande liberté mais c’est aussi une source de soucis, voire de tensions. Par ailleurs, dans un monde où les frontières et les différences s’estompent, il devient très difficile pour beaucoup d’adolescents de se démarquer et de dessiner leurs propres contours pour se sentir exister en tant qu’eux mêmes.

Y a-t-il des signes qui permettent de repérer les adolescents en réelle souffrance?
Les adolescents qui vont le plus mal sont ceux qui ne parviennent pas à se distinguer au sens propre et au sens figuré de leurs parents et des autres en général autrement que dans des logiques de rupture. Il leur faut en quelque sorte trancher dans le vif de leur chair et de leur relation à autrui pour se sentir exister. Mais en tranchant dans le vif, ils vont prendre des risques et vont donc adopter des conduites de rupture dont le repérage et le dépistage devraient permettre une prise en charge plus précoce. Tous les adolescents qui vont mal se signalent d’abord par ces conduites de rupture qui peuvent se décliner sur différents registres : prises de risques inconsidérés, fugues, tentatives de suicide, ivresses prononcées à l’alcool ou au haschich. Ces comportements sont autant de manières de se « déchirer » pour se sentir exister.

La famille est-elle la mieux placée pour repérer ces signes de souffrance?
La famille est la plus proche et la plus impliquée, elle est donc aussi la moins bien placée pour reconnaître en toute objectivité que l’adolescent va mal. C’est la fonction des tiers de faire part à la famille de l’inquiétude que peuvent susciter certains comportements de l’adolescent.

Quelles sont les personnes les plus susceptibles de percevoir la détresse d’un jeune?
Les médecins généralistes, les enseignants et la communauté éducative au sens large, en particulier les infirmières de santé scolaire, ont un grand rôle à jouer dans ce domaine, ainsi que les amis. L’entourage amical et éducatif doit pouvoir dire aux parents le souci qu’il se fait à propos du comportement d’un adolescent.

D’une manière générale, comment peut-on prévenir les risques de tentatives de suicide chez les jeunes?
Il est très important de reconnaître à temps les premières conduites de rupture et d’accepter l’idée qu’un jeune qui fait part d’une idée de suicide peut toujours la mettre à exécution, contrairement à la croyance populaire qui voudrait que « ceux qui en parlent ne le font pas ». Il faut donc, d’une part, prendre en compte ceux qui menacent et évoquent des idées de suicide et, d’autre part, repérer suffisamment tôt les premières conduites de rupture. Par exemple, une jeune fille qui multiplie les fugues doit être considérée comme une jeune fille en grande difficulté qui peut faire une tentative de suicide. Dans L'Adolescent suicidaire, j’explore justement les différentes conduites de rupture qui permettent de reconnaître à temps le jeune suicidaire.

Comment réagir après une tentative de suicide?
Faut-il considérer chaque tentative de suicide avec la même gravité, que les conséquences soient minimes ou dramatiques ?
Il ne faut surtout pas imaginer que seules les tentatives de suicide graves sur le plan somatique sont véritablement inquiétantes. L’expérience montre que même une tentative de suicide minime peut, si elle n’est pas reconnue, se transformer ensuite en tentative de suicide beaucoup plus grave. Toutes les tentatives de suicide doivent donc être prises en compte. Il faut reconnaître le jeune suicidant comme un jeune en souffrance – sans toutefois l’étiqueter ou le juger – et essayer d’en parler avec lui. La parole joue donc un rôle important dans la reconnaissance de cette souffrance... La parole est importante, tout comme la capacité pour les adultes qui s’occupent de ces jeunes – parents ou éducateurs – à exprimer ce qu’ils peuvent penser au sujet de l’adolescent. « Ton comportement nous inquiète » est une phrase que l’on doit pouvoir dire à un adolescent en difficulté. Cette simple phrase montre qu’on le reconnaît dans sa souffrance.

Vous dirigez l’unité médico-psychologique de l’adolescent et du jeune adulte au centre Abadie (CHU de Bordeaux). Quelle est la particularité de ce service?
Ce service offre un espace de transition après un passage à l’acte suicidaire ou en prévention d’un passage à l’acte suicidaire. Durant ces quelques jours d’hospitalisation, nous allons tenter de faire le point avec le jeune et sa famille et essayer de comprendre les ressorts secrets de cette souffrance que le sujet est rarement en mesure d’explorer tout seul.


DUNOD
EDITEUR, 16 Janvier 2005

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