lundi 3 mars 2008

Comprendre l'autisme pour aider les enfants à se développer au mi


Comprendre l’autisme pour
aider les enfants à se développer au mieux



Bernadette Rogé








L’autisme
touche environ 60 000 personnes en France. Depuis quelques années,
les recherches ont permis une meilleure compréhension de la
maladie, améliorant notamment la prise en charge des enfants
atteints. Bernadette Rogé, professeur de psychologie
clinique, auteur de Autisme,
comprendre et agir
, insiste en particulier sur
l’éducation comme moteur du développement de ces
enfants et rappelle la nécessité de former tous ceux
qui interviennent auprès d’eux. Un livre riche et
constructif.



L'autisme a longtemps été perçu comme une
psychose infantile engageant la responsabilité des parents,
et notamment des mères. Est-on totalement revenu de ce schéma
?

Au niveau international, la situation a beaucoup évolué
et la dimension biologique de l’autisme est maintenant bien
reconnue. Dès lors, il n’est plus question d’incriminer
les parents, de rechercher leurs éventuelles erreurs
d’éducation ou les problématiques personnelles
qui les auraient conduits à ne pas investir affectivement
leur enfant voire à vouloir le détruire
psychologiquement, comme cela a pu être dit.
La France a
suivi cette évolution, mais pas toujours de manière
franche et claire. Lorsque les facteurs biologiques sont devenus
incontestables, certains ont commencé à plaider pour
des modèles plurifactoriels derrière lesquels l’idée
d’une composante psychologique était encore
insidieusement présente. Cela est inacceptable : si l’on
peut parler de modèles plurifactoriels, c’est pour dire
que certains facteurs d’environnement, comme des facteurs
congénitaux (intervenant durant la grossesse) ou périnataux
(intervenant au moment de l’accouchement), peuvent se combiner
à des facteurs de susceptibilité génétique
pour créer le trouble du développement. Mais ce n’est
certainement pas pour revenir de manière déguisée
à la participation étiologique d’éventuels
facteurs psychologiques. Il faut rappeler que même des enfants
gravement carencés sur le plan éducatif et affectif ne
présentent pas la symptomatologie de l’autisme.
Lorsqu’ils présentent un retrait et des comportements
stéréotypés consécutifs à la
carence, ils récupèrent sur ce plan dès qu’ils
sont placés dans un environnement favorable. Ce sont alors
des séquelles d’une pathologie de l’attachement
avec des symptômes qui se situent sur le plan émotionnel
qui subsistent, mais ces enfants ne présentent pas
d’autisme.
La science a-t-elle pu révéler la
source des dysfonctionnements biologiques liés à
l'autisme ?

Les études scientifiques ont permis
d’accumuler un grand nombre de données qui
authentifient l’existence d’un trouble du développement
neurobiologique et neurophysiologique. On sait que ces
dysfonctionnements entravent la mise en place des fonctions de base
et que cela a des répercussions sur le reste du
développement. Par contre, les mécanismes exacts
d’installation de tous ces troubles ne sont pas réellement
connus. Sur le plan génétique, par exemple, on sait
que certains gènes peuvent être impliqués dans
l’apparition de l’autisme, mais on ne sait pas encore
comment ils combinent leurs effets, ni comment les facteurs de
susceptibilité s’expriment et en fonction de quelle
influence. De même, les répercussions précises
sur le développement de certaines structures cérébrales,
au niveau de certains neuromédiateurs, ne sont pas encore
connues.
La découverte des origines biologiques de la
maladie s'oppose-t-elle au traitement psychologique des personnes
concernées ?


Non, heureusement ! Ce n’est
pas parce que l’on sait qu’une pathologie a une origine
biologique que l’on va renoncer à s’occuper de la
personne qui en est porteuse sur le plan psychologique.
Ce que
l’on entend par traitement psychologique comporte en réalité
plusieurs aspects. L’autisme est responsable de multiples
difficultés d’adaptation et la première forme
d’aide est l’éducation. Cette éducation
spécifique, tenant compte des particularités de la
personne, va lui permettre d’apprendre, de se développer
pour mieux interagir avec les autres et conquérir le maximum
d’autonomie. L’éducation va aussi permettre à
l’enfant de mieux s’adapter à son environnement :
en cela, elle constitue un moyen puissant de prévention des
troubles du comportement qui ne manquent pas de survenir lorsque la
personne reste démunie, privée des outils permettant
de mener une vie sociale satisfaisante.
L’aide
psychologique signifie aussi la psychothérapie mais, dans ce
domaine, il est important d’être précis sur ce
que l’on entend par « psychothérapie ».
Les thérapies psychanalytiques ne sont pas indiquées
pour des personnes qui éprouvent des difficultés avec
le langage ou l’abstraction. Les thérapies les plus
utiles pour les personnes atteintes d’autisme sont les
thérapies cognitives et comportementales visant à
développer chez elles des compétences sociales. Ce
sont des thérapies pragmatiques dont le contenu est
accessible à la personne qui peut ainsi s’y investir
réellement et donc progresser. Les thérapies
psychologiques n’ont en aucun cas pour objectif de traiter
l’autisme lui-même, mais elles permettent de développer
des compétences qui vont améliorer la qualité
de vie de la personne.
Existe-t-il un accord international sur
les systèmes de diagnostic et de dépistage de cette
maladie ?


Oui, il y a maintenant un consensus
international sur la description de l’autisme et sur sa
nature. Les deux grandes classifications reconnues sont ainsi la
CIM10, mise au point par l’OMS, et la DSMIV, élaborée
par l’Association Américaine de Psychiatrie (American
Psychiatric Association
). Dans ces deux classifications,
l’autisme est un trouble du développement et les
critères de diagnostic sont très proches.
En
France, il subsiste cependant une classification qui reste en marge
de ces deux grandes classifications, rangeant encore l’autisme
dans la rubrique des psychoses infantiles. Ces divergences sont
vraiment regrettables. Elles nuisent à l’identification
correcte des troubles et à la mise en place d’une prise
en charge adaptée. Quant au dépistage, il suppose une
sensibilisation des professionnels de la petite enfance, pour que
ceux-ci soient attentifs aux anomalies précoces de
l’interaction et du comportement social. Leur rôle est
décisif pour faire une première identification et
orienter rapidement les enfants concernés vers des
spécialistes capables de confirmer le diagnostic.
Le
profil des enfants porteurs d'autisme reste très hétérogène.
A-t-on néanmoins des chiffres fiables sur le nombre
d'individus atteints ?


Les chiffres dépendent
beaucoup des critères de diagnostic utilisés. Si l’on
s’en tient aux formes très claires d’autisme, la
prévalence annoncée est généralement de
2 à 5 pour 10 000. Mais il existe une grande diversité
des formes d’autisme et certaines sont plus difficiles à
identifier. Par ailleurs, on a tendance à l’heure
actuelle à considérer non seulement les formes
typiques, mais aussi les formes moins marquées : on parle de
spectre des désordres autistiques pour montrer qu’il
existe un continuum entre des formes très légères,
à la frange du normal, et des formes sévères.
La déficience intellectuelle est très souvent associée
à l’autisme, mais pas systématiquement. Enfin,
il existe de nombreuses maladies associées. Tous ces éléments
rendent difficile l’établissement de chiffres précis.
Si l’on prend en compte l’ensemble des troubles du
spectre autistique, les chiffres passent de 15 à 20 pour 10
000. On estime aujourd’hui que le nombre de personnes autistes
en France est d’environ 60 000.
Les autistes sont
généralement considérés comme des
malades à vie. Un diagnostic précoce peut-il avoir des
incidences positives sur leur développement futur ?


Il
est vrai que l’autisme constitue un handicap à vie. On
ne guérit pas de l’autisme comme on l’annonçait
parfois auparavant. Par contre, un enfant diagnostiqué très
jeune et qui bénéficie d’une intervention
adaptée à plus de chances de mieux évoluer en
fonction de son potentiel. Les jeunes enfants présentent en
effet une plasticité cérébrale qui permet que
s’installent certaines suppléances. Par ailleurs, si
l’on travaille très tôt sur des fonctions de
base, on a plus de chances de prévenir d’autres
désordres. L’intervention précoce permet de
corriger au moins partiellement la trajectoire de développement.
Cependant, il faut garder à l’esprit la grande
diversité des formes d’autisme et le fait que la
lourdeur du handicap de départ, les maladies associées,
la présence d’une déficience intellectuelle sont
autant de facteurs qui conditionnent beaucoup l’évolution.
Certains enfants tirent le plus grand parti de l’intervention
précoce. Pour d’autres, l’évolution
restera plus modeste parce qu’ils sont plus lourdement
atteints au départ.
L'éducation est un droit
reconnu comme essentiel au développement de l'enfant. Quelles
sont ses spécificités concernant l’enfant
autiste ?


Les enfants autistes ont droit à
l’éducation comme tous les enfants. L’éducation
est même la première forme d’aide pour les
personnes autistes : c’est elle qui permet à l’enfant
d’apprendre à communiquer et de développer les
compétences utiles à son insertion sociale.
L’éducation pour les enfants autistes doit s’appuyer
sur la connaissance du trouble et sur les particularités qui
lui sont liées. L’évaluation des difficultés
de l’enfant et de ses points forts permet d’élaborer
un programme individualisé qui sera mis en œuvre dans
différents milieux pour favoriser la généralisation
des acquisitions. Cette éducation est menée en étroite
collaboration avec les parents.
Votre livre plaide pour un
meilleur accès des services médicaux, sociaux,
éducatifs et des familles à la formation et à
l'information sur l'autisme. La France connaît-elle un
véritable retard de ce point de vue ?


Les choses
sont certes en train de bouger grâce aux associations de
familles et aux cliniciens et chercheurs bien informés, mais
il reste beaucoup à faire ! Les véritables besoins des
personnes autistes n’ont pas toujours été
correctement identifiés et l’on a pendant longtemps
considéré qu’il fallait attendre que l’enfant
ait envie de communiquer. Ce faisant, on a véritablement
condamné ces enfants à l’enfermement, car un
autiste n’apprend pas spontanément. Ce qui est facile,
ce qui va de soi pour un autre enfant, comme le jeu social ou le
partage du plaisir avec d’autres enfants est relativement
étranger aux enfants autistes. On ne peut simplement attendre
qu’ils découvrent cela, il faut le leur apprendre. Il
faut donc comprendre le fonctionnement des personnes avec autisme et
adapter ce qu’on leur propose en fonction de cela. C’est
une véritable révolution dans la manière de
penser et, malheureusement, l’information n’atteint pas
tout le monde de la même manière. Les grands centres
universitaires diffusent une information actualisée, mais
l’information ne touche pas encore toutes les personnes qui
devraient bénéficier d’une formation. De plus,
des résistances se manifestent encore. Certains praticiens
continuent notamment de se référer encore à
d’anciens modèles.
© DUNOD
EDITEUR, 6 Octobre 2003

Aucun commentaire: