mardi 4 mars 2008

Penser le foetus comme un être humain à part entière.doc




Penser
le fœtus comme un être humain à part entière



Jean-Marie Delassus









Pour
beaucoup de scientifiques, le foetus est un objet d'étude
comme un autre. Pour Jean-Marie Delassus, le foetus est, au
contraire, un être humain à part entière, doté
de capacités sensorielles, qui grandit dans un univers
homogène et total, et auquel la naissance l'arrache. À
l'occasion de la sortie de son livre,
Le
Génie du foetus
,
Jean-Marie Delassus nous livre ses réflexions.



Votre
livre paraît autant, sinon plus, celui d’un philosophe
que celui d’un médecin. Pourquoi avez-vous adopté
ce point de vue ?


C’est
en fait le sujet lui-même qui impose d’en parler ainsi.
Trop souvent, mais heureusement cela est de moins en moins le cas,
le fœtus n’est vu et considéré que sous
l’angle de la comparaison avec l’animal ou l’adulte,
mais pas en soi. En effet, l’Homme doit être pensé
dans sa provenance et celle-ci n’est pas que génétique
: il y a une vie intra-utérine humaine spécifique.
Le
fœtus est donc un sujet médical au sens de la médecine
mais également un sujet anthropologique : il nous permet de
mieux savoir ce qu’est l’Homme.


C’est
pour cela que votre livre critique une certaine vision qui fait du
fœtus plus un objet d’étude qu’un être
qui vit dans le corps d’une femme ?


Un
être qui vit dans le corps de la femme et qui va vivre dans
notre corps à nous. Nous sommes, pour toute notre vie,
constitués de l’intérieur, et pas seulement de
l’extérieur : c’est ce que j’appelle «
la mémoire du corps ». C’est un des points
fondamentaux de ma réflexion, et donc de mon livre, que
d’insister sur le fait que les adultes que nous sommes sont
des prolongements des fœtus que nous avons étés,
lesquels ont une vie spéciale.
Dès que nos
capacités sensorielles apparaissent, dès la grossesse
de la mère, nous nous mettons à exister selon une vie
très particulière, homogène, totale, que –
fait spécifiquement humain – nous allons enregistrer et
qui, plus que tout fonds génétique, va faire notre
fonds psychologique.


C’est
une vision peu orthodoxe…


Je
le crois [NDR : blanc de plusieurs secondes].
Ce livre est très
important pour moi, chaque mot, chaque idée, tout ce qui le
compose a été pesé, réfléchi, vu
et revu : c’est l’aboutissement de plusieurs années
de travail. Ce que je voulais, c’est poser et présenter
la vie d’une autre manière, en fonction de sa
provenance, de sa formation pendant la vie intra-utérine.
C’est un changement de paradigme, en quelque sorte.
Je
crois qu’il était nécessaire de dépasser
un mode de pensée parfois trop centré sur la technique
et le médical purs. Il faut, pour le fœtus, une
approche large, pluridisciplinaire, rigoureuse et scientifique sans
exclure la dimension humaine. Sinon c’est le fœtus
desséché, le fœtus médical, le fœtus
sur lequel on va prélever des tissus pour faire des greffes,
le fœtus de la procréation médicale, le fœtus
transplanté, le fœtus vendu, commercial : or, le fœtus
qui importe véritablement est ce fœtus humain que nous
avons tous été, et avec lequel on n’en finit pas
en naissant car il aura formé notre dimension humaine et pas
seulement notre corps.


Alors,
l’Homme est humain dès la vie fœtale ?


Oui,
car sans la vie fœtale, nous serions des animaux comme les
autres ! Ce ne sont pas l’intelligence ou la raison qui nous
font Homme, mais l’expérience de la « totalité
» fœtale : nous sommes ainsi des animaux exilés
de l’animalité en quelque sorte.


Pour
analyser cette expérience de la totalité vécue
par le fœtus, vous développez une phénoménologie
du fœtus, et non une psychologie du fœtus. Pourquoi ?


On
ne peut parler de psychiatrie ni d’ailleurs de psychologie au
niveau du fœtus. Il n’est pas un sujet mais un être
dans un état de totale participation à son milieu, à
son environnement ; cet état global définit un état
mais en aucun cas un sujet.
Aussi, je prends une position
rigoureuse, celle qui me paraît la plus adaptée à
cette recherche, à savoir celle de la phénoménologie.
J’observe des phénomènes, ni plus ni moins, et
je tente de les analyser, d’en tirer des enseignements.


Vous
dites que l’être humain dispose d’immenses
Territoires Corticaux Libres, de neurones qui vont enregistrer tout
ce qui est ressenti par le fœtus : est-ce à dire que le
fœtus vit dans un univers complet, intime, où il
devient humain ?


Oui,
mais en fait, ce qu’il faut bien comprendre c’est que,
quand la grossesse se passe bien, notre esprit est structuré
par ce vécu fœtal qui est d’une homogénéité
stable et constante. Aussi, au lieu d’hériter seulement
de mécanismes phylogénétiques d’adaptation
au monde, se rajoute ce vécu de la totalité
originelle, enregistré, mémorisé.
Dès
lors, nous sommes structurés par un état de la vie qui
se suffisait à elle-même et qui était la
totalité. Et c’est avec cela que l’on
arrive au monde !


En
ce cas, n’y a-t-il pas un véritable problème de
la prise en charge de ce passage de la vie fœtale à la
vie post-natale ?


Évidemment.
Et c’est cela que l’on ne voit pas quand on réduit
la naissance au seul fait de l’accouchement. On veut croire
qu’il y a une continuité entre la vie prénatale
et la vie post-natale et certains s’appuient d’ailleurs
sur une citation tronquée de Freud pour appuyer ce propos.
Cependant, Freud parle seulement d’une continuité dans
les soins maternels : continuité entre la femme enceinte et
la mère qui nourrit et élève son enfant.
En
fait, on n’arrive pas à imaginer l’immense césure
qu’est la naissance ! Quand il vient au monde, l’Homme
n’y était pas destiné. Que peut-il faire alors ?
Il cherche l’univers de totalité connu jusqu’ici.
Et le bébé ne va trouver cette totalité que
chez une seule personne, chez sa mère ou celle qui en fera
fonction. S’il trouve cela – qui a été
rendu sensible par le vécu de la grossesse ou de
l’accouchement (ou, en cas d’adoption, par l’attente)
– alors, par cette écoute, ce regard, cet échange,
l’enfant retrouve la totalité, mais passée du
biologique fœtal au psychologique relationnel.


Peut-on
dire que grossesse et naissance représentent, pour la mère
et son enfant, deux moments parallèles de bonheur et de
douleur ?


C’est
effectivement un parallèle que l’on peut faire.

Pendant la grossesse, la mère, qui est un ancien fœtus
dont le corps conserve la mémoire de son expérience,
voit remonter cette mémoire, ce vécu de la totalité
fœtale et le revit dans et par son corps. À
l’accouchement, il y aura pour elle une rupture de ce vécu.
De
même, la naissance est, pour le fœtus, une chute libre :
c’est d’ailleurs pour cela qu’il crie, ce que ne
fait aucun animal. Dans les manuels de médecine, on enseigne
que le fœtus crie pour déplisser son poumon : le chat,
le chien ou l’éléphant qui ont aussi un poumon
ne poussent aucun cri ! Le cri, c’est en fait l’expression
de cette douleur psychique qu’est la naissance.
Mais, pour
l’enfant comme pour la mère, il y a dépassement
de cette situation de crise natale.
La mère va trouver
au-dehors ce qu’elle avait au-dedans : elle perd son fœtus,
et le gagne en même temps. Là où il y a perte,
elle trouve désormais un être relationnel.
Si la
mère fait ce mouvement, ce transfert originel, la jonction
s’opère pour le bébé : il passe d’une
vie de type foeto-biologique, quand bien même l’esprit
s’y développe, à une vie de type relationnel et
psychologique.


Le
fœtus, dans cette homogénéité et cette
totalité vécues in utero, connaît-il une longue
période de plaisir, de bien-être, qui se poursuit par
la suite avec le développement de la libido ?


In
utero, il n’est pas question de bien-être : c’est
un mot insuffisant. Le mot de totalité, bien qu’ambigu,
dit mieux et davantage.
Le fœtus est en fait immergé
dans la non-différence absolue. Ainsi, il sera amené à
investir non seulement les équivalents psychologiques de la
totalité (par exemple, le visage, le regard, la parole de
l’autre) mais aussi tout retour corporel à
l’homogénéité. Donc, la satisfaction des
besoins sera la satisfaction par voie physique de son besoin de
totalité. C’est là l’émergence de
l’énergie libidinale.


Pour
conclure : vous indiquez comme titre de votre ouvrage

Le
Génie du foetus

: en quoi est-il
génial, ce fœtus ?


C’est
très simple. On parle du
génie génétique
: c’est le résultat du travail des gènes. On a
là un agencement qui nous dépasse, qui paraît
génial.
Cependant, pour la vie fœtale, il y a aussi
un autre aspect du génie : il tient au fait de cette mémoire
neuronale qui va constituer l’émergence d’un
nouveau sens, le sens de la totalité. Le fœtus a le
génie de la totalité et il nous le
transmet.
Finalement, ce livre est un livre d’anthropologie
fondamentale, qui nous permet de penser la vie d’un point de
vue laïc, de penser au sens de l’Esprit, de tirer des
enseignements du génie du fœtus, du génie
humain. L’étude du fœtus nous apprend que l’on
ne peut pas ou que l’on ne devrait pas vivre sans tenir compte
de cette histoire qui nous parcourt, qu’on le veuille ou non.
Il y a l’histoire de cette dimension de totalité qui
constitue vraisemblablement la nature la plus profonde de notre
inconscient. De même que nous avons le sens de la vision, du
goût, de l’équilibre, nous avons, enfoui et
inconscient, le sens de la totalité. Hors des dérives
totalitaires, qu’en faisons-nous ?



©
DUNOD EDITEUR, 1er Mai 2001




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